Dans mon billet précédent (Les Réinventer, de quoi parle-t-on ?), j’ai mis l’accent sur les points communs aux multiples appels à projets urbains innovants. Mais il existe de forts contrastes entre les différentes déclinaisons. La preuve par la comparaison entre Réinventer Paris et Inventons la Métropole du Grand Paris.
Si ces deux éditions partagent un processus commun, ils s’inscrivent dans des contextes institutionnels assez différents. Pour y voir plus clair, revenons sur l’émergence successive de ces deux appels à projets urbains innovants.
De l’émergence de Réinventer Paris…
La genèse de Réinventer Paris remonte aux lendemains des élections municipales de 2014. Tout juste élue, l’équipe d’Anne Hidalgo s’interroge. “comment faire pour mettre en oeuvre rapidement le programme du nouvel exécutif ?”. Du côté de l’aménagement, les projets urbains butent sur la raréfaction des grandes emprises foncières et sur la lourdeur de l’outil ZAC. Du côté des politiques publiques, les nouvelles priorités font face à l’inertie de l’action sectorielle.
L’enjeu consiste à trouver d’autres modes d’intervention, plus agiles et moins couteux. C’est alors qu’apparait l’idée de transférer à l’aménagement la méthode des appels à projets, qui s’était jusqu’ici développée dans les politiques d’innovation. Ce transfert est facilité par la délégation élargie de Jean-Louis Missika, deuxième adjoint au Maire de Paris dont la délégation combine l’urbanisme et le développement économique.
Pour cela, le choix est fait de se focaliser sur la cession de parcelles plus petites en demandant à la direction de l’urbanisme de faire l’inventaire du foncier de la Ville qui pourrait être rapidement mis en vente.
Réinventer Paris résulte ainsi d’un coktail inédit entre trois éléments :
1/ Le programme politique du binome Hidalgo/Missika. Repris dans le règlement intérieur, c’est lui qui fixe les objectifs assignés aux groupements candidats.
2/ La méthode de l’appel à projets. Importée des politiques d’innovation, elle vise à accélérer l’émergence de nouvelles pratiques par la mise en concurrence des projets.
3/ L’inventaire du foncier public hors-ZAC, comme autant de terrains d’expérimentation que la Ville de Paris pourrait mettre en vente.
Une fois les ingrédients mis en place, la suite s’enchaîne très vite dans un portage conjoint entre la direction de l’urbanisme et le cabinet de Jean-Louis Missika. Attirés par les perspectives de plus-values foncières et/ou par le terrain de jeu ouvert par l’appel à projets, les candidatures se multiplient. L’initiative fait le buzz et commence déjà à essaimer.
… à sa traduction par la Métropole du Grand Paris
Toute aussi rapide, la mise en oeuvre d’Inventons la Métropole intervient dans un contexte plus fragmenté. On y trouve au départ deux logiques distinctes :
La Société du Grand Paris d’une part, désireuse de valoriser le foncier public aux abords des gares du futur métro. La SGP envisage à l’époque de lancer un concours international intitulé “les Hubs du Grand Paris”. Ciblé sur 14 sites desservis par le futur métro, il s’agit surtout d’attirer des investisseurs internationaux.
La Métropole du Grand Paris d’autre part. Tout juste mise en place et déjà contestée (par la Région notamment), la Métropole a besoin de démontrer rapidement sa consistance et sa capacité d’action. Remettant à plus tard l’élaboration des grands schémas, son Président Patrick Ollier voit dans la méthode des Réinventer le levier idéal pour marquer son empreinte.
C’est lors du MIPIM 2016 que les deux initiatives convergent pour fusionner ensuite sous le titre “Inventons la Métropole du Grand Paris” (IMGP). Pour conforter leur légitimité, la SGP comme la Métropole se retrouvent dans la nécessité de faire alliance avec les communes.
IMGP laisse ainsi une large place aux maires des communes de la métropole. Ce sont eux qui proposent les sites intégrés dans l’appel à projet. Une fois retenus, ce sont aussi eux qui fixent les “conditions particulières de site” faisant office de cahier des charges pour les groupements candidats. Ce sont eux enfin qui jouent un rôle déterminant dans la sélection des projets lauréats, au côté de la Métropole du Grand Paris et de la SGP.
Changement d’échelle ou changement de nature ?
Cette généalogie des Réinventer mériterait une analyse plus approfondie (J’ai hâte de lire les travaux de politistes et d’urbanistes sur le sujet !). Elle vise surtout à interroger la parenté entre ces deux types de Réinventer. Au-delà de la diffusion d’un même dispositif, deux inflexions méritent d’être signalées.
La première inflexion concerne les caractéristiques des sites intégrés à l’appel à projet. Avec Inventons la Métropole, la taille des parcelles mises en vente change de catégorie. On passe de l’opération immobilière (6 500 m2/site en moyenne sur les 23 sites de Réinventer Paris) au projet d’aménagement (3,8 ha en moyenne pour les 56 sites d’IMGP). La responsabilité qui porte sur les équipes candidates est d’une toute autre ampleur ! Ce qui ne va pas sans susciter d’inquiétudes du côté des aménageurs… (j’y reviendrai dans un prochain billet).
Cet élargissement des sites traduit aussi une différence d’attractivité du foncier entre Paris intra-muros et le reste de la métropole. Si la moindre dent creuse parisienne suffit à attirer l’attention des promoteurs, ce n’est pas toujours le cas en première couronne. Il faut élargir le périmètre pour que chaque opération puisse atteindre la taille critique lui permettant d’équilibrer ses bilans, au risque de se substituer à l’outil ZAC.
La deuxième inflexion concerne le mode de pilotage de l’appel à projet. Je l’ai dit : Inventons la Métropole se caractérise par une maitrise d’ouvrage plurielle associant la Métropole du Grand Paris (chef d’orchestre de l’opération), la SGP et l’EPFIF (qui assurent le portage foncier) et les maires des communes concernés. Ces derniers étant bien souvent l’acteur central de ce dispositif.
Les attentes vis-à-vis des groupements candidats s’en trouvent transformées. Pour Réinventer Paris, le règlement indiquait une commande politique très claire (mettre en oeuvre le programme du nouvel exécutif) mais laissait chaque groupement assez libre de l’interpréter pour chaque site. Alors que pour IMGP, le cahier des charges global reste assez réduit. C’est à l’échelle de chaque site que les attentes sont formulées, à travers les CPS (conditions particulières de site).
En changeant d’échelle, les Réinventer auraient-ils aussi changer de nature ? Quel sera l’impact de ces deux inflexions sur le profil des équipes retenues et le type des innovations proposées ? Il est encore trop tôt pour y répondre. Mais c’est à cette aune qu’il sera intéressant d’analyser les projets lauréats d’IMGP qui seront annoncés demain au Pavillon Baltard.