Les Réinventer, à quels prix ?

Publié le |Nicolas Rio|Temps de lecture : 6 min.

Les réactions se multiplient sur les Réinventer, que ce soit sur les innovations, sur la recomposition des acteurs ou sur le risque de privatisation de la ville. Mais il y a une dimension qui reste peu abordée : la question financière. L’exposition des projets lauréats d’Inventons la Métropole au Pavillon de l’Arsenal en est l’illustration. On nous parle de nouveaux concepts, on nous présente des acteurs inédits, mais rien sur les prix (c’était déjà le cas trois ans plus tôt sur les entrepôts Macdonald, comme le signalait Isabelle Baraud-Serfaty). Ni sur la charge foncière obtenue par la collectivité, ni sur les prix de sortie envisagés par les promoteurs…

Cette absence est d’autant plus étonnante que la dimension financière constitue un élément central de ces appels à projets urbains innovants, qui restent avant tout une vente groupée de foncier public. Essayons d’ouvrir la boite noire à travers trois questions, en prenant le risque de s’éloigner de mon domaine de compétence.

Question 1 : quelle péréquation possible entre les sites ?

Quel est l’impact des Réinventer sur le marché immobilier ? A priori, on serait tenté de dire « aucun ».

Le modèle des appels à projets urbains innovants repose sur la possibilité d’une décote consentie par le propriétaire foncier public par rapport au prix de marché théorique, en échange de l’effort d’innovation engagé par le groupement acquéreur. La mise en concurrence entre les candidats permet de garantir le bon rapport qualité/prix de ce rabais, en combinant la variable « prix » avec la variable « pertinence du projet ».

Mais la décote ne change rien à l’état du marché immobilier et à ses variations selon les territoires. En effet, les bilans des opérations restent construits sur le modèle du compte à rebours qui établit une relation d’équivalence entrela recette finale (les prix de sortie probables multipliés par la programmation envisagée) et le coût initial (le montant des charges foncières). Autrement dit, plus le site est attractif, plus les recettes potentielles sont élevées, et plus les opérateurs immobiliers sont prêts à investir.

 

Les Réinventer ne permettent donc pas d’atténuer la différence d’attractivité entre les sites. Au contraire, ils pourraient même contribuer à les accentuer. En effet, une décote de 20% sur un site parisien cédé à 40 millions d’euros permet de financer davantage d’innovations que la même décote appliquée à un site de deuxième couronne vendu trois fois moins cher. Cet écart se renforce si l’on intègre l’inégale capacité financière des collectivités (et des aménageurs) à consentir à de telles réductions sur leurs ressources foncières. La décote avait été estimée à 40% pour Réinventer Paris, elle a probablement été moindre pour Inventons la Métropole (et très variable selon les communes concernées).

Si cette hypothèse se vérifie, c’est alors la question de la péréquation financière entre les sites qui est posée. Et si les appels à projets jouaient les robins des bois, en demandant aux sites les plus rentables de financer la décote des sites qui le sont moins ? Après tout, c’est bien pour contribuer à diminuer les inégalités territoriales que la Métropole du Grand Paris a été mise en place.

Hypothèse 2 : les appels à projets pour révéler un marché immobilier en pleine évolution ?

L’entrée par la décôte foncière a le mérite de faire le lien avec la capacité financière des collectivités. Mais elle s’avère incomplète pour décrire les mutations à l’œuvre avec IMGP. Comment expliquer sinon que plusieurs sites intégrés à l’appel à projet aient trouvé preneur, alors qu’ils avaient jusqu’ici échoué à attirer promoteurs et investisseurs ?

L’explication habituellement énoncée prétend que les appels à projets permettent de diffuser l’attractivité globale à l’ensemble des sites qui y participent. Cette croyance dans la capacité des Réinventer à transformer le plomb en or laisse dubitatif. On imagine mal les comités d’engagement des grands investisseurs se laisser berner par cette vente groupée pour acquérir des parcelles à la rentabilité improbable.

Si les opérateurs immobiliers s’engagent sur ces sites longtemps restés en friche, c’est qu’ils font le pari que ces opérations seront rentables à terme… du fait d’autres facteurs exogènes à l’appel à projet. Autrement dit, le succès d’Inventons la Métropole est inséparable d’une lecture plus large des dynamiques métropolitaines, à commencer par l’arrivée du Grand Paris Express et par la gentrification de l’Est (grand) parisien.

En jetant la lumière sur ces sites de périphérie, les Réinventer invitent les opérateurs à anticiper les évolutions du marché pour constituer leurs réserves foncières dès maintenant. La dimension innovante des projets vient alors accélérer ce « rattrapage » des prix de l’immobilier, en attirant de nouveaux profils d’acquéreurs. Ce mécanisme s’exprime notamment sur les sites où le décalage entre l’état actuel et l’état projeté est le plus fort (Romainville, Arcueil, Rosny…). Ce qui expliquerait aussi la faible participation de l’Ouest francilien à IMGP.

 

Cette deuxième hypothèse déplace la question sur le partage du risque (et des gains) entre collectivités et opérateurs immobiliers face aux évolutions du marché immobilier. On connaît les difficultés qui existent pour faire financer les infrastructures publiques (en l’occurrence le Grand Paris Express) par la plus-value foncière. Mieux vaut plutôt s’intéresser aux prix de sortie estimés par les promoteurs et au décalage possible avec les prix de vente effectifs lors de la commercialisation de l’opération.

Le niveau de prix envisagé correspond-t-il aux projets politiques portés par les municipalités concernées ? Si les prix effectifs sont supérieurs une fois l’opération réalisée, comment cette plus-value est-elle (re)distribuée ? A l’inverse, si les prix du marché s’avèrent in fine inférieurs aux estimations initiales, quels seront les variables d’ajustements pour préserver la viabilité financière de l’opération ?

Hypothèse 3 : quelles transformations du modèle économique de l’aménagement et de l’immobilier ?

La troisième hypothèse est plus prospective, mais aussi plus fondamentale quant aux impacts des Réinventer sur la fabrique urbaine. Les appels à projets urbains innovants contribuent-ils à transformer les modèles économiques de l’immobilier ? Le repositionnement des promoteurs et l’élargissement de leur champ d’action viennent-ils transformer le modèle du compte-à-rebours exposé ci-dessus ? L’intégration dès l’amont du projet de ses utilisateurs futurs permet-elle de réduire le coût des opérations d’aménagement ? Les Réinventer vont-ils marquer la fin du bilan d’aménagement ?

Autant de questions que nous (nous) posons avec Le Sens de la Ville dans le retour d’expérience collectif que nous venons de lancer sur Inventons la Métropole. Il faudra attendre encore un peu pour en avoir les résultats. Mais c’est sans doute à cette aune qu’il faudrait évaluer l’impact des Réinventer sur la production de la ville.

 

Si vous avez participé à Inventons la Métropole (que votre groupement soit lauréat ou non), pensez à répondre au questionnaire en ligne sur votre vécu de l’appel à projet. Il est anonyme et se remplit en moins de 10 minutes.

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