Par rapport à la COP et au Grenelle, les Etats Généraux sont davantage un espace de discussion que de négociation. C’est surtout sur des sujets émergents que les Etats Généraux font la preuve de leur utilité, quand le jeu d’acteurs n’est pas encore stabilisé. Ils permettent de réunir au sein d’une même démarche des acteurs très hétérogènes (publics et privés, économiques et associatifs, petites structures et grands groupes) et de croiser les points de vue pour construire une compréhension commune de la situation, des initiatives existantes à valoriser et des problèmes persistants à résoudre.
Mais il est bien souvent difficile de dépasser le stade du diagnostic, pour établir une feuille de route qui engage chacun des participants. Lorsque la dynamique prend, les Etats Généraux ont donc vocation à basculer sur un autre dispositif : un Grenelle si les parties prenantes sont en capacité de déboucher sur des mesures concrètes, ou une COP si les discussions portent sur des objectifs à moyen terme. Si on en arrive à la 10e édition des Etats Généraux, c’est que le dispositif n’a pas fonctionné.
A quoi pourraient ressembler des Etats Généraux de la transition ?
Les collectivités ont l’habitude d’organiser des Etats Généraux, pour engager le dialogue avec les forces vives du territoire et favoriser leur interconnaissance. Ces démarches butent néanmoins sur un cloisonnement par secteur thématique, au risque d’en rester à une addition de mondes clos où chaque Vice-Président réunit les acteurs de sa délégation (des Etats Généraux de la culture, des Etats Généraux de l’école, des Etats Généraux de l’industrie, etc). Pour impulser la transition écologique, tout l’enjeu consiste à passer à des Etats Généraux plus écosystémiques, capables d’organiser le croisement entre des acteurs qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer. Pour les élus et services, il s’agit aussi de se décentrer pour mieux cerner la valeur-ajoutée de la collectivité par rapport aux initiatives portées par les autres acteurs.
Les Etats Généraux constituent l’outil idéal pour aller explorer les angles morts de la transition ; tous ces sujets laissés orphelins car ils sont au croisement de plusieurs champs sectoriels et/ou que personne n’en porte la responsabilité. Par exemple, les Métropoles gagneraient à organiser des Etats Généraux de la précarité écologique pour favoriser le dialogue entre les acteurs de l’écologie et ceux du social. Que ce soit au sein des services comme de la société civile, le dialogue entre ces deux mondes reste encore embryonnaire et peine à déboucher sur des chantiers d’action publique. On pourrait aussi imaginer des Etats Généraux locaux de l’alimentation. Alors que l’édition nationale s’était focalisée sur la négociation entre producteurs et distributeurs (en ce sens elle correspond davantage à un Grenelle), les Etats Généraux auraient l’intérêt de croiser la question agricole avec les enjeux de santé publique, d’accessibilité alimentaire et des modes de consommation. Une telle démarche se rapproche de la philosophie des Grands Débats déployés par la Métropole de Nantes sur la transition énergétique ou la longévité.
Les Etats Généraux peuvent aussi être l’occasion d’accorder plus de place aux vivants non-humains, dans le prolongement de l’expérimentation Make It Work organisée par Bruno Latour quelques mois avant l’accord de Paris ou du Parlement de Loire initié par le POLAU. S’il est encore difficile d’intégrer la faune et la flore à la table des négociations (dont le cadre reste défini par les humains), il devient indispensable de considérer les diverses formes du vivant comme des parties prenantes incontournables de la transition écologique et sociale. On pourrait imaginer des Etats Généraux de la pollinisation ou des Etats Généraux de la fraicheur urbaine : les spécialistes des arbres et des abeilles y cotoieraient des promoteurs immobiliers, le service de la voirie et des espaces verts, les grands propriétaires terriens, les pompiers, etc. Les Etats Généraux seraient alors la scène d’expression des écosystèmes vivants, pour souligner l’importance et la vulnérabilité des fonctions qu’ils assurent et travailler à leur résilience. On aurait alors des Etats Généraux de la chenille processionnaire dans les Landes ou le Morbihan, des Etats Généraux de la Forêt dans le Morvan ou à Paris ; des Etats Généraux du sol vivant dans les plaines agricoles ou au cœur des agglomérations, etc.
Le rôle des élus locaux dans tout ça ?
Organisateur des Etats Généraux, les élus locaux assurent un rôle d’entremetteur, voire de traducteur, pour faciliter le dialogue entre des acteurs qui se connaissent mal et ne parlent pas toujours le même langage. En hôte de qualité, il faut savoir recevoir (la convivialité est un facteur de réussite décisif), composer un plan de table qui mette tout le monde à l’aise, engager les présentations puis savoir se retirer quand le dialogue a pris… Le rôle des élus consiste aussi à faire prendre conscience à ces participants hétérogènes voire bigarrés qu’ils appartiennent tous à un territoire commun, qu’ils ont des liens et des interdépendances en partage ; bref, qu’ils ont des choses à se dire.
Trois conditions de réussite
Implication collective des élus et des services.
La mobilisation collective est nécessaire pour éviter que les Etats-Généraux ne soient réduits à un silo sectoriel mais qu’ils favorisent au contraire le croisement entre des sphères d’acteurs éloignées.
Co-portage des Etats Généraux avec les principales parties prenantes.
Dans un Grenelle, le champ de la collectivité. L’acteur public ne constitue qu’un acteur parmi d’autres. S’il est à l’origine de l’invitation, il doit aussi savoir s’effacer pour que les échanges entre participants puissent opérer. C’est lorsqu’ils ont cessé de s’adresser au Roi pour établir le Serment du Jeu de Paume puis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen que les Etats Généraux de 1789 sont entrés dans l’histoire.
Viser le qualitatif plutôt que le quantitatif.
La réussite des Etats Généraux ne se mesure pas au nombre de personnes mobilisées, mais à leur capacité à susciter le dialogue entre des acteurs qui ne s’étaient jamais parlé et à faire émerger des convergences imprévues.
Accepter que les Etats Généraux ne vont pas forcément déboucher sur un plan d’action.
Cela prend du temps de se connaître, et à vouloir aller trop vite on risque parfois de mettre à mal la dynamique. A ce stade, la prise de conscience des interdépendances et l’identification d’enjeux communs priment sur la définition d’une feuille de route opérationnelle.
Sommaire du panorama
Introduction : quels outils pour amplifier la transition dans les territoires ?
Un GIEC local pour donner de la voix aux projections des scientifiques
Une COP territoriale pour s’engager sur une feuille de route commune mais différenciée
Un Grenelle territorial pour trouver un terrain d’entente et définir des engagements réciproques
Des Etats Généraux pour croiser les mondes et faire émerger de nouveaux sujets à l’agenda