« Place à l’action ! ». C’est le titre du numéro de la revue de l’ADCF consacré au programme Action Coeur de Ville de janvier 2019. On y défend la nécessité de replacer la question des services à la population au coeur de la revitalisation des centres-villes.
Si le discours sur le déclin des villes moyennes est aussi fort (en dépit d’une réalité très contrastée entre les villes, de Forbach à La Rochelle, en passant par Rodez, Vannes ou Vierzon), c’est qu’il est directement perceptible à l’œil nu. Pas besoin de statistiques ni de discours experts, il suffit de se promener dans les cœurs de villes moyennes pour prendre la mesure de la crise qu’elles traversent : magasins laissés vide avec un panneau « A Vendre » affiché en vitrine, immeubles anciens peu entretenus voire laissés à l’abandon, rues piétonnes clairsemées face à la concurrence des centres commerciaux de périphérie…
Cette visibilité a grandement contribué à la mise à l’agenda de ce problème (bien réel) de la déprise des centres de villes moyennes et à sa prise en compte par l’action publique, à travers la mise en place du programme Action Cœurs de ville. Mais il ne faudrait pas que cet effet de loupe vienne troubler le diagnostic, en concentrant les efforts sur les symptômes sans agir sur les causes.
En effet, la revitalisation des cœurs de villes moyennes ne peut se réduire à une question d’aménagement urbain. La rénovation de l’habitat ancien ne pourra produire des effets durables sans être accompagnée d’une amélioration de la situation des personnes qui l’occupe. La requalification des espaces publics ne suffira pas à réanimer le centre-ville, sans une réflexion sur la mobilité à une échelle plus large. Le soutien à l’offre commerciale en centre-ville risque de peser bien peu face au déficit de régulation des zones commerciales de périphérie et le développement du e-commerce.
L’action sur le bâti est nécessaire, mais elle doit s’inscrire dans une stratégie plus large : tel est le défi du programme Action Cœur de Ville, au niveau national comme au niveau local. La revitalisation des centres de villes moyennes pose avant tout un enjeu de services, et ce de trois manières.
Un enjeu de services à la personne tout d’abord, face à la précarisation des populations qui résident dans les centres de ces villes en déprise et à la diffusion d’un sentiment d’abandon. Et si on mettait l’accent sur le soin apporté à la population déjà présente et sur la qualité de leur accompagnement, au lieu de lutter (en vain) contre la déprise commerciale et de multiplier les campagnes de marketing territorial ? Concrètement, cela pourrait par exemple consister à soutenir les commerces indépendants pour en faire les premiers acteurs du service à la personne. L’évolution du rôle des pharmaciens comme praticien de la santé de proximité pourrait être élargie aux autres commerces : les librairies comme service d’accès à la culture ? les boucheries, restaurants ou primeurs comme point d’entrée pour aider chaque individu à reprendre la maitrise de son alimentation ? Les magasins de jouets ou de vêtements comme espace d’accompagnement à la parentalité ? Face à la croissance de l’achat en ligne, les commerces doivent se réinventer comme opérateur de service. Charge à la collectivité d’orienter ces évolutions dans un sens utile au fonctionnement des cœurs de ville et à leurs occupants.
Un enjeu de services urbains ensuite, pour continuer à tenir la « promesse d’urbanité » qu’apportent les centres-villes par contraste aux périphéries et en accompagner la transition écologique. Et si l’économie circulaire, la performance énergétique, l’animation des espaces publics et la mobilité partagée constituaient des facteurs de regain plus puissants que le commerce pour réactiver la vocation de ces centralités « à taille humaine » ? Sans tomber dans les chimères d’une smart city technologique, il s’agit de tisser de nouvelles alliances avec les opérateurs de services urbains (traditionnels et nouveaux entrants), pour élargir le spectre des services proposés et repartir des besoins effectifs des usagers. C’est aussi en développant l’autopartage, les ressourceries ou les foncières solidaires que Cœur de Ville pourra contribuer à la revitalisation des centres.
Un enjeu de services collectifs enfin, pour faire face à la fermeture ou la relocalisation des équipements publics constitutifs de la fonction des villes moyennes (l’hôpital, le tribunal, la CAF, le musée, le lycée de centre-ville…). L’urbanisme transitoire et l’engouement pour les tiers-lieux révèlent la possibilité de faire émerger d’autres formes d’équipements collectifs, dont la programmation évolue au gré des contributions et des envies de leurs usagers. Des lieux qui ne sont ni privés, ni publics, mais ouverts sur la population et ancrés dans leur quartier, comme la Cartonnerie à Saint-Etienne ou le Tri Postal à Avignon.
Ce passage de l’aménagement aux services suppose d’élargir les acteurs impliqués dans la conception et la mise en œuvre de la stratégie Cœur de Ville. La collectivité change alors de posture : de maitre d’ouvrage unique d’un projet urbain, elle devient le chef d’orchestre et la caisse de résonance d’une multitude d’initiatives déjà en germes sur son territoire. Si la crise des centre-ville est visible à l’œil nu, leur redynamisation nécessite de tendre l’oreille !