Partie Prenante vient d’intégrer le réseau de veille du Grand Lyon sur le volet méthodo, en groupement avec Acadie, Pop-up urbain et Thomas Gauthier. Pour fêter ça, on partage nos réflexions sur les défis de la prospective du futur et ses apports pour l’action publique (extrait de la réponse envoyé à la Métropole de Lyon).
Figure emblématique de la prospective du présent depuis plus de vingt ans, le Grand Lyon exprime aujourd’hui un besoin de prospective du long terme. Mais cet intérêt renouvelé pour l’exploration du futur n’a plus grand chose à voir avec la prospective aménagiste des années 1960, lors de l’âge d’or de la DATAR et des OREAM. Il ne s’agit plus de planifier le long terme, mais d’interroger le futur. Ou plus précisément de le « faire parler », de le « donner à voir » pour mieux appréhender les conséquences des choix du temps présent.
Un déplacement des incertitudes
Ce regain d’intérêt pour la « prospective du futur » exprimés par les élus comme par les professionnels découle d’un déplacement des incertitudes.
Les grandes incertitudes de l’action publique contemporaine ne portent plus sur la nature des ruptures à venir. Celles-ci sont pour la plupart déjà connues, voire même déjà à l’œuvre. Raréfaction des ressources publiques, omniprésence croissante du numérique dans nos vies et dans nos villes, dérèglements climatiques liés au passage dans l’anthropocène, recomposition de la structure démographique, fuite en avant vers le mythe de la performance, diffusion d’un terrorisme mondialisé… Leur formulation peut varier tout comme leur interprétation, mais la prise de conscience est là.
L’incertitude demeure (voire s’intensifie), mais elle se déplace. Elle repose davantage sur les conséquences dans la durée de ces transformations structurelles et sur les réactions qu’elles pourraient susciter.
Quelles seront les actions mises en œuvre pour lutter contre le changement climatique, par quels acteurs et selon quelles modalités ? Et si elles finissent par advenir, comment viendront-elles transformer nos modes de vie, notre vision du monde ou notre rapport aux communs ?
Idem pour la crise des finances publiques : va-t-elle se traduire par un retrait de la puissance publique, par de nouvelles formes de régulation ou par l’émergence d’autres acteurs collectifs ? Ou pour le numérique : quels sont les risques induits par cette omniprésence ? Cette volonté de contrôle ne risque-t-elle pas d’aboutir au résultat inverse ?
Toutes ces questions le montrent : l’effort de projection du futur ne vient pas se substituer à la prospective du présent. Ces deux registres d’exploration peuvent au contraire s’alimenter mutuellement. À condition de relever deux défis.
Un défi cognitif : élargir nos visions du futur
« Notre imaginaire du futur n’évolue plus. Il est le même que celui qu’on nous proposait il y a 60 ans. Nous sommes plongés dans un perpétuel « rétro-futur ». » écrivait Hubert Guillaud en 2014, pour résumer la thèse du livre de Nicolas Nova Futurs ? La panne des imaginaires technologiques.
Appliqué aux technologies du futur, ce blocage des imaginaires se retrouve sur les autres domaines de la prospective du long terme. Que ce soit avec les élus, les professionnels ou les habitants, la projection dans le futur tend souvent à s’enfermer dans une alternative entre l’enfer ou le paradis. D’un côté la dystopie annoncée par les romans de science-fiction, marquée par l’individualisme, l’hyper-technologie et la surveillance généralisée. De l’autre le rêve d’une société apaisée et solidaire, qui aurait réussie par miracle à dépasser toutes ses contradictions.
Le premier défi de la méthode prospective consiste donc à réinterroger nos imaginaires du futur pour ré-ouvrir le champ des probables. Les questions et outils qu’elle apporte visent à nous aider à construire une vision à la fois multiple et nuancée du futur. À ce titre, les scénarios sont à manier avec précautions !
Pour cela, deux points de vigilance méritent d’être pointés :
> Le changement n’est pas toujours là où on le croit : « On voulait des voitures volantes et on a eu 140 caractères », comme le rappelle Peter Thiel avec malice. D’où l’importance de décentrer le regard, comme le pratique déjà la DPDP sur la prospective du présent.
> Les changements sont toujours partiels et s’effectuent à des rythmes différenciés. D’où l’intérêt de mettre aussi l’accent sur les éléments d’inertie et les tensions qui émergent de cette conjonction entre des mutations rapides et des transformations plus lentes.
Notre méthodologie prospective cherche ainsi à projeter les changements probables ou possibles et à mieux en cerner les temporalités. Autrement dit, il s’agit de souligner l’ampleur des transformations à venir, sans supposer un changement permanent, immédiat et généralisé. Pas si facile dans un contexte marqué par le culte de l’innovation !
L’exemple du véhicule autonome illustre ce défi pour la Métropole de Lyon. Si la diffusion de cette technologie nouvelle apparaît de plus en plus probable, tout l’enjeu consiste à savoir ce qu’elle va transformer, quand et comment ? Va-t-elle réduire la congestion ou augmenter les mobilités ? Sera-t-elle utilisée pour réduire les inégalités d’accès ou au contraire les renforcer ? Aura-t-elle des impacts sur la mobilité, sur l’emploi ou sur les espaces publics ? Dans cinq ans ou dans vingt-cinq ans ?
Un défi stratégique : donner du poids au long terme
Le deuxième défi est d’ordre stratégique et concerne l’impact de la prospective du futur sur l’action publique en général, et les politiques de la Métropole de Lyon en particulier. Comment faire pour concevoir une prospective utile à l’institution, ses élus, ses services et ses partenaires ?
Le risque serait de s’engager dans des démarches prospectives qui flottent, à rebours des pratiques du Grand Lyon sur la prospective du présent. Pour cela, nous serons attentifs à ancrer le travail de projection à long terme au sein de l’institution, pour s’assurer qu’elle répond à un besoin.
> En mettant l’accent sur le cadrage et la formulation de la commande : quels sont les signaux qui en sont à l’origine ? Quels en sont les attendus ? Autrement dit, quelle peut être la contribution d’une « prospective du futur » aux questionnements de la Métropole de Lyon ?
> En cherchant à anticiper et à expliciter les usages de ces travaux prospectifs : comment les acteurs à l’origine de la commande pensent-ils s’en servir ? Quels sont les champs et les modes d’intervention potentiellement interpellés par cette réflexion à long terme ?
> En contextualisant l’analyse pour prendre en compte les spécificités du territoire lyonnais et de la situation métropolitaine. Comment les signaux prospectifs généraux ou repérés ailleurs pourraient-ils se traduire sur le cas de la métropole lyonnaise ? En quoi les conséquences d’une même tendance s’en trouveraient-elles modifier ?
Ce deuxième défi nous enthousiasme encore davantage, car nous sommes convaincus qu’il s’agit d’un enjeu récurrent pour la prospective (la question se pose pour les collectivités comme pour les entreprises).