Pour inaugurer le blog de Partie Prenante, je vous propose une série de billets sur les Réinventer. Réinventer Paris, Inventons la Métropole, Réinventer la Seine, Imagine Angers, Reinventing Cities… Les appels à projets innovants se multiplient à grande vitesse, sans pour autant qu’on ait le temps de bien comprendre les changements qu’ils induisent.
Quelles sont les transformations à l’oeuvre ? Comment ces nouveaux types d’appels à projet viennent-ils bousculer le partage des rôles ? Au moment où sont analysées les 164 candidatures sur les 56 sites d’Inventons la Métropole du Grand Paris, tentons une première analyse de ce qui est en train de se jouer.
Ces différents billets de blog sont à prendre comme un work in progress. Ils visent surtout à partager des pistes de questionnement pour susciter la discussion, dans le prolongement de la tribune publiée avec Manon Loisel dans le Journal du Grand Paris. Ils résultent aussi d’une réflexion impliquée, puisque j’ai été partie prenante de trois groupements candidats à Inventons la Métropole du Grand Paris. Il s’agit sans doute d’une vision (trop) partielle, qui demandera à être complétée par d’autres regards. A bon entendeur…
Commençons d’abord par essayer de définir de quoi l’on parle. Pour résumer, on pourrait décrire les caractéristiques des Réinventer de trois façons.
Les Réinventer, un concours d’architecture XXL ?
Une première possibilité serait de présenter les Réinventer comme un concours d’architecture. On y retrouve en effet tous les ingrédients : des terrains à batir et des starchitectes, des équipes concurrentes qui candidatent devant un jury composé par la collectivité, et toujours la même rengaine lancée aux concepteurs : “lachez-vous !”
Un concours XXL, organisé simultanément sur plusieurs dizaines de site. A côté des 56 sites d’Inventons la Métropole ou des 23 parcelles de Réinventer Paris, les Grands Travaux présidentiels de Mitterrand jouaient petit bras ! L’exposition des équipes lauréates au Pavillon de l’Arsenal révèle l’intérêt de cette formule, comme un moyen de saisir l’esprit du temps et de faire avancer la création architecturale et urbaine.
Mais à cette recette habituelle, les Réinventer ajoutent deux ingrédients nouveaux et potentiellement prometteurs. Les groupements candidats ne se limitent pas à des équipes de concepteurs, elles intègrent aussi des utilisateurs et des investisseurs.
D’une part, les Réinventer élargissent le périmètre du concours du contenant au contenu. La compétition intègre aussi les propositions programmatiques des candidats et leur capacité à s’associer avec les opérateurs qui en assureront le portage. Y apparaissent alors des acteurs nouveaux : gestionnaires d’espaces de coworking ou d’auberge de jeunesse, restaurateurs ou commerçants, agriculteurs urbains, etc.
D’autre part, les Réinventer dissocient l’appel à projet de la maitrise d’ouvrage. Si les sites proposés correspondent à du foncier public, les opérations n’ont pas vocation à être portées par les collectivités. Au-delà de l’architecture, il est donc aussi question de modèles économiques et de montage financier, l’existence du groupement étant conditionnée à la présence d’acteurs immobiliers suffisamment solides pour acheter le terrain et porter l’opération à son terme.
Les Réinventer, une vente groupée de foncier public ?
Car, rappelons-le, le foncier est au coeur du dispositif. Un vendeur (public), un acquéreur (privé) et un prix de charges foncières : “les Réinventer désignent avant tout une cession foncière”, comme me le rappelait sceptique un ami aménageur. Tant de bruit pour ça ?
Deux éléments spécifient les Réinventer par rapport aux cessions foncières classiques, comme il en existe tant dans des métropoles en perpétuelle mutation. Premièrement, ces appels à projets cherchent à modifier les termes de la négociation. Tout le principe consiste à affirmer que les charges foncières ne sont plus l’unique critère de cette mise aux enchères de terrains publics, en ajoutant une autre variable à l’équation : l’innovation.
“L’innovation sous toutes ses formes” constitue le dénominateur commun de tous ces appels à projet (sans que celle-ci soit toujours bien définie : doit-elle porter sur la forme architecturale, les éléments programmatiques, les modalités de gestion ?). L’intérêt des Réinventer repose d’ailleurs sur la flexibilité du dispositif. Contrairement aux nombreuses contraintes règlementaires qui pèsent sur les achats d’une collectivité, la vente de terrain public reste assez peu encadrée. Ce qui laisse la collectivité relativement libre de fixer les termes de l’échange avec les équipes candidates.
La deuxième spécificités des Réinventer consiste à intégrer un grand nombre de cessions foncières dans un appel à projet unique. Comme toute vente groupée, cela permet à la fois de mutualiser les frais communs (accompagnement technique et juridique, analyse des offres, communication…) et de maximiser la visibilité de l’opération. La capacité de Réinventer Paris à battre en brèche l’image tenace de “Paris ville musée” témoigne de ce succès. Les promoteurs de ces appels à projet vont jusqu’à affirmer que cette vente groupée permet de renforcer l’attrait de sites considérés jusqu’ici comme non-attractif (je reviendrai sur cette question dans un prochain billet).
Les Réinventer, un nouveau mode de financement pour l’action publique ?
Il existe une troisième façon d’appréhender les Réinventer, en quittant le monde de l’aménagement pour élargir la focale à l’action publique locale et son financement. Plus rarement évoquée, cette hypothèse vient tirer les conséquences de la définition précédente : si le montant de charges foncières n’est plus l’unique critère de sélection des candidats, c’est donc que la collectivité est prête à accepter un prix moins élevé en échange des innovations proposées.
Pour la première édition de Réinventer Paris, ce manque à gagner financier serait de l’ordre de 400 millions comme l’indiquent Les Echos : la vente des 23 sites a certes rapporté 600 millions d’euros… mais “le total des offres les mieux disantes se chiffrait à un milliards d’euros”. Le but n’est pas ici de s’interroger sur la pertinence de ce montant, mais bien plutôt de souligner à quoi il correspond. 400 millions d’euros, c’est l’investissement que la Ville de Paris est prête à consentir pour que les équipes lauréates “contribuent à la réalisation des objectifs de la municipalité parisienne” (règlement de Réinventer Paris), ce qui reste relativement peu rapporté au budget la ville.
Et si les Réinventer étaient à l’aménagement ce que les crédits d’impôts sont à la fiscalité ? Une autre façon pour les collectivités de financer la mise en oeuvre de leurs priorités, sans avoir à toucher ni à leur budget de fonctionnement, ni à leur budget d’investissement (mais à leur patrimoine foncier). On comprend mieux alors le caractère séduisant de ce dispositif pour des collectivités confrontées à des restrictions budgétaires croissantes mais qui disposent encore de nombreuses emprises foncières.