Comment repenser le métier d’élu pour l’adapter aux évolutions de la société et pour mieux définir ce qu’on en attend ? C’est la question qu’on s’est posé avec Manon Loisel pour la revue Horizons Publics. En voici quelques extraits. Pour accéder à l’article dans son intégralité et au reste du dossier sur le « Printemps des Maires », c’est ici.
À l’approche des élections municipales de 2020, une angoisse semble monter du terrain : aura-t-on suffisamment de volontaires pour candidater aux fonctions politiques municipales et intercommunales ? En effet, ces derniers mois les démissions d’élus locaux se multiplient, signe du désarroi croissant de ces derniers quant à l’impossibilité de remplir leur mission. « Usés par la fonction, de plus en plus d’élus jettent l’éponge », titrait Le Monde le 8 octobre 2018. (…)
Etre élu local est devenu une mission impossible. Qu’ils soient maires, adjoints municipaux ou conseillers communautaires, les élus se retrouvent au quotidien confrontés à une multitude d’injonctions contradictoires. On attend d’eux qu’ils maîtrisent des enjeux de plus en plus complexes, tout en restant à l’écoute des citoyens. On leur demande d’agir dans l’urgence, tout en portant une vision sur le long terme. On exige qu’ils développent de nouveaux services, tout en réduisant leurs moyens, etc. Ce « on » désignant à la fois les citoyens, les usagers des services publics et privés, l’État, les administrations,…
Pour sortir de cette crise existentielle, il devient nécessaire de mettre en discussion collectivement ces injonctions contradictoires. À défaut de pouvoir les résoudre, il faut au moins les expliciter pour mieux les comprendre. Le défi est de repenser le métier d’élu pour l’adapter aux évolutions de la société contemporaine et pour mieux définir ce qu’on en attend. Au-delà des débats partisans et des querelles d’égo, ce sont les contours du poste qui méritent d’être débattus. (…)
L’élu local n’est plus ce qu’il était
Si la fonction d’élu local est en crise, c’est que les deux figures traditionnelles sur lesquelles ce rôle s’était construit sont devenues insuffisantes voire obsolètes : être élu local en 2018 n’a plus la même signification qu’en 1998 ou en 1968.
D’une part, l’évolution des modes de vie a transformé notre rapport au territoires. L’explosion des mobilités, quotidiennes et résidentielles, a progressivement remis en cause le principe de territorialité sur lequel repose tout mandat local. Les usagers passent leur temps à franchir les frontières communales ou départementales pour accéder à de nouvelles ressources : un emploi, un logement, un cinéma, une école, un aéroport, etc. Le besoin d’ancrage demeure, mais il devient plus symbolique qu’effectif. Quel rôle doivent jouer les élus, désignés sur la base d’un périmètre délimité, quand le quotidien des citoyens s’effectue en réseau ?
D’autre part, la décentralisation a bouleversé le paysage institutionnel français. Même si le processus est loin d’être abouti, la création de nouvelles collectivités a entrainé une diversification des postes et des profils d’élus. Les transferts de compétences ont suscité une montée en puissance de l’administration, transformant l’équilibre entre le technique et le politique. La décentralisation a aussi accentué l’ambiguïté sur le positionnement des élus locaux face à l’Etat, entre dépendance partielle et désir d’émancipation.
À cela s’ajoute l’évolution de la place accordée à la politique et à l’idéologie dans les processus de prise de décision collective. Technicisation de l’action publique territoriale, déclin des appareils partisans, mutation des formes de militantisme… Autant de facteurs qui bousculent la figure traditionnelle de l’élu local. (…)
De quels élus avons-nous besoin ici et maintenant ?
Au-delà du profil des titulaires, c’est la « fiche de poste » attendue des élu.e.s qui mérite d’être discutée. Plusieurs questions devraient être mises en perspective pour améliorer l’adéquation du métier d’élu avec le fonctionnement de la société contemporaine.
La première porte sur l’expertise attendue des élu.e.s locaux. Critère de choix pour les électeurs, mètre étalon pour l’administration, la question de l’expertise joue un rôle croissant dans la légitimité des élus. Mais de quelle expertise parle-t-on : d’une maîtrise technique de enjeux ? D’une capacité à être à l’écoute, au plus proche des citoyens ? D’une connaissance fine du territoire et de ses besoins ?
Une deuxième question concerne les modalités de la prise de décision politique. Comment souhaite-t-on que l’élu arbitre ? En négociant avec les représentants des intérêts locaux (représentants d’association, chambres consulaires, chefs d’entreprises, porteurs de projets, …) pour faire converger leurs intérêts ? En recevant les revendications et les doléances des citoyens régulièrement ? En gérant les désaccords et en tranchant pour garantir la ligne sur laquelle il a été élu, quitte à faire fi de protestations légitimes ?
À cela s’en ajoute une troisième sur la place à donner à la dimension délibérative du métier d’élu, face à la marginalisation des assemblées dans l’action publique locale (à commencer par les conseils municipaux et communautaires). Quel est le rôle des élus sans délégations exécutives, qu’ils soient dans la majorité ou dans l’opposition ?
La dernière question porte sur les critères d’évaluation pour juger l’action des élus locaux. A quelles conditions pourra-t-on dire qu’ils ont réussi leur mission ? En se basant sur l’efficacité des mesures ? La pertinence de la vision proposée ? La méthode de pilotage ? Et quels sont les acteurs légitimes pour en juger ? Les habitants ? Les usagers ? Les élites socio-économiques du territoire ? Les experts ?
Toutes ces questions interrogent les (futurs) élus locaux et soulignent la nécessaire émergence d’un espace réflexif et prospectif sur la fonction d’élu local, qui dépasse l’enjeu de la formation des élus. L’ampleur du débat ne peut se limiter aux seuls candidats, élus actuels ou potentiels. Ces questions concernent l’ensemble des parties prenantes de l’action publique locale. (…)
D’autant que la réponse peut varier selon les territoires et selon les contextes Avons-nous besoin d’un élu qui représente le territoire au dehors et participe à le faire rayonner ? Ou alors d’un élu qui impulse une feuille de route déjà en partie construite et partagée ?