Des Etats Généraux de la Démocratie Locale : retour d’expérience

Publié le |Nicolas Rio, Manon Loisel et Mathilde François|Temps de lecture : 21 min.

En 2021, Partie Prenante a accompagné la Ville de Chambéry pour l’organisation des Etats Généraux de la Démocratie Locale. L’occasion de mettre à l’épreuve du terrain nos réflexions sur la gouvernance locale, la place des citoyens dans l’action publique et la transformation du rôle des élus.  L’occasion surtout d’ouvrir la discussion grandeur nature avec des élu.e.s, des agents et des citoyen.ne.s, en s’inspirant des méthodes de l’éducation populaire. Merci à la ville de Chambéry d’avoir choisi de partager cette aventure avec nous.

Alors que la mission se termine, on éprouve le besoin de faire le point sur ce qu’on retient de cette exploration, sur le fond comme sur la méthode. « Passer du face-à-face au faire ensemble », c’est plus facile à dire qu’à faire ! Et comme on se dit que ce retour d’expérience pourrait servir à d’autres, on prend le risque d’ouvrir le capot pour vous partager ce bilan de mission en toute subjectivité. En espérant que ça vous soit utile…

Pourquoi on a répondu

Lorsqu’on a vu passer cet appel d’offre de la Ville de Chambéry pour l’organisation des « assises de la participation citoyenne » à l’automne 2020, on a d’abord hésité à répondre. A Partie Prenante, on n’est pas des spécialistes de la démocratie participative. On a même tendance à s’en méfier, du fait de ses disfonctionnements (on y reviendra) et de son instrumentalisation.

Au final, c’est justement cet inconfort qui nous a poussé à proposer une réponse et qui justifie selon nous une telle démarche. On pourrait résumer l’intérêt des Etats Généraux de la Démocratie Locale à travers quatre convictions, qu’on a essayé (tant bien que mal) de tenir tout au long de la mission :

1 Le besoin de repenser les fonctions de la participation citoyenne, avant de multiplier les dispositifs innovants et d’être absorbé par la gestion des différentes instances. Rien de mieux en début de mandat que de prendre le temps d’écouter, de débattre et de répondre ensemble à la question suivante : de quelle participation citoyenne avons-nous besoin ? Ce qui nécessite de combiner les points de vue, car les réponses ne sont pas toujours les mêmes pour les élus, pour les services, pour les citoyens ou pour les associations.

2 La nécessité d’analyser comment l’impératif participatif reconfigure le partage des rôles entre élus, citoyens et administration dans la conduite de l’action publique. De ce point de vue, le contexte chambérien s’avère particulièrement intéressant. L’arrivée d’un nouvel exécutif issu de la fusion entre une liste citoyenne et une liste socialiste pose de nombreuses questions : comment définir le bon équilibre entre démocraties représentative et participative ? Quel processus de transformation de l’administration municipale suite à l’alternance ? Comment trouver sa place d’élu local quand on est issu d’un mouvement citoyen ?

3 L’intérêt de la méthode des Etats Généraux, pour créer un espace de dialogue commun entre des acteurs qui évoluent chacun dans des univers distincts et pour aller recueillir la parole des inaudibles. Parler démocratie en réunissant à la fois des élus, des agents, des citoyens et des associations, l’occasion est suffisamment rare pour ne pas s’en saisir.

4 La sincérité d’une démarche exploratoire, qui accepte d’avancer à tâtons pour porter une transformation collective. Convoquer des Etats Généraux, c’est prendre le risque de ne pas écrire l’histoire à l’avance. Le cahier des charges transmis par la Ville était très large et sans doute trop ambitieux, mais au moins ce n’était pas une opération de comm’ bien huilée. Au final, c’est sans doute ce rapport à l’incertitude qui aura été le plus difficile à gérer (au fond c’est le principe même de la vie démocratique : on se sait jamais comment ça se termine).

Ce qu’on a fait, sur le fond et la méthode

Avec nos interlocuteurs à la ville, on voulait éviter le piège de la démarche sans lendemain, qui tombe aux oubliettes aussitôt terminée. On voyait les Etats Généraux comme l’amorce d’un processus de transformation continue, sans début ni fin, capable de se poursuivre au-delà de la démarche. Au lieu de faire un événement unique visant l’effet waouh, on a proposé de déployer la réflexion collective en trois étape, rythmée chacune par un temps fort de dialogue citoyen.

Etape 1 : on fait le bilan

Pour rebâtir la démocratie locale, le point de départ a consisté à regarder la participation citoyenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui : ancrer la discussion dans le concret et le vécu, pour éviter de partir d’une page blanche (comme si rien n’avait été fait jusqu’ici) ou fantasmer une démocratie idéale (condamnée à rester une abstraction).

Les Etats Généraux ont donc débuté par une enquête collaborative pour analyser sept dispositifs participatifs (des instances pérennes type conseils de quartier comme des démarches ponctuelles sur des sujets plus ciblés) pour en repérer les atouts, les faiblesses et les marges de maneouvre. Mené de février à avril, ce travail d’enquête à mobilisé une quarantaine de personnes (essentiellement des élus et des agents). Stylo en main et micro tendu, elles avaient pour mission de se mettre à l’écoute des personnes concernées par chaque dispositif, en distinguant quatre profil : les participants, les destinataires, les inaudibles et les acteurs-relais. Comment le dispositif a-t-il été perçu par ses différents protagonistes ? Quelles sont les personnes qu’il n’a pas réussi à impliquer ? Qu’est-ce que ces expériences vécues nous disent de la démocratie locale, et de ses (dis)fonctionnements ?  

La dimension collaborative a demandé beaucoup d’énergie, pour trouver les volontaires, les accompagner et les convaincre de dégager le temps nécessaire (même si on est venu avec des outils clés en mains pour leur faire gagner du temps et faciliter la consolidation des résultats). On reste convaincu que ce temps de mobilisation est un bon investissement ! D’une part, il permet de repérer et fédérer les bonnes volontés au sein de l’institution, et d’éviter les travers de l’audit hors-sol. D’autre part,  l’enquête est en soi une expérience démocratique, bien plus transformatrice que n’importe quel diagnostic d’experts. Enquêter encourage la prise de recul et la confrontation des points de vue. Cela oblige à se poser des questions nouvelles et à prendre le temps d’écouter les réponses. En croisant tous les entretiens, l’enquête a permis de dégager cinq problèmes principaux qu’on a essayé de formuler, et d’illustrer, le plus simplement possible (ce qui nous a obligé à faire le tri parmi toute la matière recueillie, qui reste exploitable par ailleurs).


Notre objectif, c’était de donner la parole à tout le monde, pour parler de la démocratie à la première personne du singulier
. C’est la condition pour éviter que certains s’érigent comme porte-parole de tous les autres, sans avoir reçu aucun mandat pour le faire. 130 personnes pour parler de 5 problèmes en 2h de visio, sacré challenge ! Qu’on a tenu en réduisant l’intro des élus à 5 min, en organisant sur chacun des cinq problèmes des échanges en petits groupes de 10, puis en demandant à quelques personnes de partager leur témoignage en plénière (la synthèse des Etats Généraux #1 est visionnable ici). C’était court et parfois frustrant de ne pas pouvoir aller plus loin dans la discussion, mais la soirée est venue poser le ton de la démarche : faire ensemble, c’est d’abord prendre le temps de s’écouter pour confronter les différents vécus de la démocratie locale, de manière à comprendre les besoins de chacun.e, tenter de se mettre à leur place et repérer les malentendus éventuels.Ces cinq problèmes ont servi de matière à réaction pour le premier temps fort de dialogue citoyen, organisé en visio (covid oblige). Avant d’en faire le cahier des charges pour la suite de la démarche, on avait besoin de les mettre en discussion avec les premiers concernés : les citoyen.ne.s bien sûr, mais aussi des élu.e.s, des agents et des acteurs associatifs. On s’est beaucoup posé la question du tour de table de ce premier temps fort : on ne voulait pas se limiter aux aficionados de la participation citoyenne, et on n’avait pas les moyens de constituer un panel représentatif. Au final, on a demandé aux personnes impliquées dans l’enquête de faire venir celles et ceux qu’on n’entend pas assez. On pourrait toujours faire mieux, mais les 130 personnes présentes étaient déjà bien plus diverses que la composition habituelle d’une réunion publique.

En avril 2021, au bout de trois mois, on en ressort avec le constat que la démocratie, c’est compliqué pour tout le monde, et qu’il n’y a pas de recette miracle. Alors avant de multiplier les promesses, commençons par prendre à bras-le-corps tous les « petits » disfonctionnements qui mettent à mal la vie démocratique à l’échelle d’une ville ! Politiquement c’est un peu moins sexy, mais c’est aussi la condition pour recréer de la confiance.

Etape 2 : on expérimente.

Lors de la première phase, on avait beaucoup entendu de critiques sur les « réunions publiques » avec la nécessité de diversifier les formats pour aller au plus près des citoyens/usagers. De la part des élus comme des agents et des citoyens, on ressentait le besoin de passer au concret pour démontrer que les Etats Généraux n’étaient pas qu’une réflexion théorique déconnectée de l’action publique du quotidien.

A partir du mois de mai, on se retrousse les manches avec le collectif d’éclaireurs pour imaginer une série d’expérimentations à tester in situ, en réponse aux cinq problèmes identifiés. Coté Partie Prenante, on aide les élus et agents à cibler les expérimentations (on a peu de temps et peu de moyens) et à se jeter à l’eau (expérimenter est toujours une prise de risque). On s’en fiche que ça ne soit pas complètement abouti, l’important c’est de voir les réactions que ça suscite !

On peut dire que les éclaireurs ont mouillé la chemise, sous le cagnard du mois de juillet : théâtre-forum sur un stand de marché pour inviter les citoyen.nes à se mettre dans la peau des élu.es ou des services (et vice-versa) en s’inspirant de scènes vécues lors de réunions publiques ; promenades avec les élus et services pour faire le suivi des réalisations de la ville suite à une démarche participative (en l’occurrence sur la végétalisation de l’espace public) ; jeu de cartes pour trouver les bons intermédiaires entre les publics éloignés de l’action publique et la ville (en l’occurrence les jeunes) ; triporteur pour permettre aux agents et aux élus d’aller au contact des habitants pour diffuser l’invitation à participer aux Conseils de Quartiers dans des lieux variés (jusqu’aux bords des bassins de la piscine !) ; fresque du temps pour identifier collectivement les bons moments et les bonnes modalités pour associer les habitants dans un projet de renouvellement urbain.

Premier enseignement : C’est plus facile de rentrer par des sujets de préoccupation concrets (la nature en ville, la rénovation urbaine, …) que d’avoir une réflexion méta sur la participation citoyenne. Quand les consignes sont trop complexes ou théoriques, les gens décrochent.  Ce qui souligne l’importance de jouer en parallèle sur les deux registres : améliorer les politiques thématiques, ajuster les modalités du faire ensemble.

Deuxième enseignement : On a besoin de tout le monde pour parler de démocratie. Ca ne veut pas forcément dire qu’il faut être nombreux : une micro-discussion à 6 sur la pelouse d’une piscine peut être plus fructueuse qu’une réunion publique à 200 personnes. Mais pour que le dialogue citoyen fonctionne, c’est mieux d’avoir des élus ET des agents (la plupart du temps, on a soit l’un, soit l’autre).

Troisième enseignement : C’est pas si compliqué de tester des formats alternatifs et de sortir des murs de l’hotel de ville. Le plus dur, c’est de réussir à le faire dans la durée : passer de l’expérimentation ponctuelle au réflexe automatique, créer les conditions pour rendre cela possible pour tout le monde. Et c’est tout l’enjeu de la troisième étape.

Etape 3 : on tire les conséquences pratiques.

La dernière étape a sans doute été la plus difficile car elle était traversée d’injonctions contradictoires : Comment poursuivre la dynamique des Etats Généraux tout en anticipant que la démarche touche déjà à sa fin ? Comment faire vivre une transformation dans la durée tout en formalisant des engagements ? Comment montrer qu’on ne fera plus jamais de la démocratie à Chambéry de la même manière, sans se faire des promesses que personne ne sera en mesure de tenir ?

Pour s’en sortir, on a essayé de faire un texte court et accessible à tous, capable d’incarner le « faire ensemble » et d’en partager les conditions de réussite. On n’est pas très fan des Chartes de la participation citoyenne (même s’il en existe de très bien, comme à Rennes, à Dieppe ou à Montreuil), car on tombe vite dans le super-règlement intérieur qui réduit la démocratie locale à une procédure, avec ses règles et ses instances. Or la démocratie et le faire ensemble, c’est aussi et avant tout une expérience à partager, qu’il faut réussir à cadrer sans figer. On se méfiait aussi des textes grandiloquents qui fabriquent de la défiance, et/ou du foisonnement de fiches-actions, qui épuisent tout le monde sans transformer grand chose.

En repartant de tous les témoignages recueillis et en tirant le fil de la métaphore des Etats Généraux (on est allé relire le Serment du Jeu de Paume), on aboutit sur cinq engagements communs qui s’appliquent autant aux élus qu’aux citoyens, aux agents et aux associations. L’idée était d’en faire un poster à afficher dans toutes les réunions publiques et les temps participatifs, pour poser un cadre simple, capable de garantir que tout le monde joue le jeu. Vu hors-contexte, ces engagements pourraient paraître anecdotiques ou bisounours. Nous, on est convaincu.e.s que ce sont des fondations pour faire vivre la démocratie ensemble.

« Depuis le début de la réunion, c’est toujours les 10 mêmes personnes qui prennent la parole. On s’était pourtant engagé lors des Etats Généraux à écouter celles et ceux qui s’expriment le moins ! ». « Ca fait plusieurs mois que la consultation est terminée, et on n’a eu aucune nouvelle. On s’était pourtant juré d’accorder plus d’attention au suivi des impacts ». On le voit : ces engagements ne seront utiles que si les personnes s’en saisissent. C’est pour cela qu’on a pris le temps de tester leur déclinaison pratique avec une diversité d’acteurs, et que la ville a ouvert les portes de la mairie le 4 décembre pour partager avec les habitants les résultats de cette année de réflexion collective.

En parallèle de ce travail d’écriture, l’autre enjeu de cette troisième étape consistait à accompagner les élus et les agents pour tirer les enseignements des Etats Généraux sur la conduite opérationnelle de la démocratie participative. La démarche a notamment été utile pour (re)structurer les conseils de quartier, en s’inspirant du fonctionnement des associations pour les ouvrir le plus largement possible et en faire des lieux de coopération (entre citoyens, et avec les élus, agents et associations du quartier et de la ville). Le temps nous a manqué pour poursuivre l’exercice jusqu’au bout. Ca donnerait envie d’avoir un temps dédié avec l’ensemble des élus municipaux et/ou en séminaire des cadres, pour voir comment ils s’approprient les engagements communs et repérer les marges de manœuvres dont ils disposent pour passer à l’action. Pas sûr que les fiches-outils transmises avant de partir suffisent… Heureusement, on sait que l’élue à la démocratie locale et son équipe continueront à faire vivre l’esprit des Etats Généraux et à outiller la mise en œuvre.

Les enseignements / questionnements à l’issue de la mission

Durant toute la démarche, on s’est posé plein de questions et on s’est transformé, main dans la main avec nos interlocuteurs à la Ville. Avec le recul, on en retire quatre enseignements comme autant de conseils pour les territoires qui s’engagent dans des démarches similaires, et autant de questionnements pour les consultants qui les accompagnent.

La première chose qu’on en retient, c’est que la démocratie locale est avant tout une expérience à vivre, qui ne peut se réduire à une somme d’instances et de réunions publiques. D’où la nécessité (ô combien difficile !) de garantir la cohérence entre ce qu’on dit et ce qu’on vit, en pensant chaque temps forts comme l’occasion de mettre en pratiques l’importance accordée à l’écoute et à la confrontation des points de vue (par opposition aux réunions descendantes où les participants sont inondés d’infos avant de pouvoir s’exprimer).

Cet accent sur l’expérience vécue et incarnée souligne aussi l’importance de constituer un noyau dur d’acteurs embarqués, au sein de la collectivité (du côté des agents comme des élus) et en dehors (du coté des acteurs associatifs et des citoyens engagés). L’expérience de la 27e Région sur la transformation publique depuis dix ans a montré que l’empowerment de quelques personnes motrices est souvent plus fructueux que la mise en place d’une nouvelle structure et l’acculturation à marche forcée de l’ensemble des agents.

On part de Chambéry en se disant que le groupe d’éclaireurs constitue un des principaux acquis de la démarche… tout en prenant conscience de l’énergie que ça suppose ! Comment associer ces points d’appuis sans que ça se traduise par une surcharge de travail de leur coté ? Comment faire jouer l’effet boule-de-neige pour élargir la dynamique et éviter d’avoir une collectivité à deux vitesses en matière de participation citoyenne ? Et surtout, comment faire face aux turn over des participants ? Que ce soit avec les citoyens ou les élus, c’est très difficile de stabiliser un groupe et d’organiser la progression de la réflexion. C’est rarement les mêmes d’une réunion sur l’autre, et ils ne se connaissent pas assez pour pouvoir se passer le relai. Pas facile dans ces conditions de capitaliser sur les étapes précédentes.

Ah, le rapport au temps. Voilà le deuxième enseignement qu’on en retire : accepter que la transformation démocratique, ça s’inscrit forcément dans le temps long. D’une part parce qu’elle s’inscrit forcément dans l’héritage des pratiques antérieures : on n’efface pas des décennies de défiance ou de malentendus en un revers de mains. D’autre part parce que renforcer la place des citoyens dans l’action publique implique de reconfigurer l’ensemble du partage des rôles. Il ne suffit pas d’ouvrir des espaces d’expression : encore faut-il que les élus soient en capacité d’entendre ce qui se dit, que les agents puissent en intégrer les résultats dans leur activité, que les associations s’inscrivent dans cette dynamique de coopération… Autrement dit, ça nécessite une somme de changements individuels et structurels, qui ne se décrètent pas.

Ce constat interroge sur la limite des grandes démarches stratégiques qui se donnent un an pour changer de logiciel. Peut-on vraiment refonder la démocratie locale en trois temps forts ? Cela ne veut pas dire que les Etats Généraux n’auront servi à rien. Simplement que la transformation est plus lente et plus discrète, et sans doute (on l’espère) plus profonde. Attention donc à ne pas injecter toute son énergie dans la gestion de projet et dans l’évènementiel, au détriment d’une attention aux changements plus discrets et aux trajectoires individuelles. La plupart des démarches de ce type gagnerait en efficacité si on divisait par deux (par cinq ?) les évènements prévus, pour s’autoriser à prendre le temps de digérer ce qui s’y passe.

Cela interpelle aussi sur l’adéquation entre les ambitions et les moyens, à fortiori dans un contexte covid où les collectivités (comme les citoyens) sont déjà sous pression. Si l’ambition est trop élevée, on prend le risque d’épuiser les personnes impliquées et d’accentuer la défiance démocratique. Si l’ambition est trop réduite, on peine à dépasser l’inertie de l’institution et à susciter l’adhésion. Il n’y a donc pas de bonne réponse. Ce qui est sûr, c’est que la question des moyens humains et financiers affectés à la mise en œuvre des résultats d’une telle démarche doit être abordée dès le départ.

Le troisième enseignement porte sur le périmètre de réflexion pertinent pour refonder la démocratie locale. Nombre d’interlocuteurs nous ont alerté sur la limite d’une démarche méta, parfois perçue comme trop théorique ou trop éloignée des préoccupations quotidiennes (des habitants mais aussi des agents et des élus). Là encore, l’expérience de la 27e Région montre qu’il vaut mieux partir de quelques terrains d’expérimentations ciblés, pour ensuite les mettre en résonance au sein d’une réflexion plus large sur le fonctionnement de la démocratie locale et la place accordée aux citoyens. Si c’était à refaire, on demanderait à la collectivité de sélectionner trois ou quatre projets pilotes.

L’expérience des Etats Généraux révèle en outre que la transformation démocratique interpelle le fonctionnement de la collectivité dans son ensemble. A commencer par le management de l’administration, pour qui la gouvernance ouverte se traduit par la multiplication d’injonctions contradictoires : il faut expérimenter davantage sans pour autant avoir le droit à l’erreur, il faut prendre le temps d’associer les citoyens tout en accélérant la mise en œuvre du projet municipal, etc. Cette tension entre changement et inertie se retrouve du côté de la communication publique, qui reste historiquement structurée sur un mode descendant. Dans nos différentes missions, on est frappé par le décalage entre les temps forts qu’on anime (en essayant autant que possible de faire circuler la parole et prendre le temps de s’écouter) et leur restitution (qui recrée, souvent inconsciemment, le face-à-face entre la collectivité et « ses » citoyens).

In fine, on arrive à la conclusion que le principal défi est moins d’ouvrir des espaces d’expression citoyenne, que d’outiller la capacité d’écoute et de coopération des institutions publiques.

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